18 September 1789: the hardships of a deputy’s life

…Versailles…

Plus le temps s’écoule et moins nous avançons en besogne, mon cher neveu. Depuis deux mois que nous nous occupons de la constitution du royaume, nous n’avons fait qu’une déclaration des droits de l’homme, qui paroit même assés inutile, et rédigé quelqu’articles de la constitution, parce que les assemblés sont très orageuses et qu’il y a des gens qui cherchent à tout retarder, et peut-être brouiller les esprits et à perdre l’État.  On a décidé que l’Assemblée nationalle (sic)  sera permanente, c’est-à-dire que les députés resteront en caractère et toujours prests (sic) à s’assembler jusqu’à ce qu’ils fussent remplacés par d’autres… (…)

Nos travaux, auxquels on ne voit point de fin et qui seront insuportables (sic) l’hiver, redoublent à tout moment : tous les jours, deux séances, souvent même le dimanche, depuis 9 heures du matin jusqu’à trois heures et demie, et depuis les six heures jusqu’à passé les onze heures. Cependant, malgré l’ennuis (sic) que me donne le peu d’accord des membres, je n’ai pas encore été incommodé et ne manque point de séance. Je vous quelques fois, ici et quand je vais à Paris, Rolland, qui vous fait des compliments, et je mange toujour (sic) avec lui. (…)

L’abbé de Rousselot à son neveu Joseph Rousselot, dans Correspondance de l’abbé Rousselot, constituant. 1789-1795, présentation par Anne-Marie Malingrey (Paris, 1992), p. 43-44.

11 September 1789: Necker’s letter, sanction, & the voting procedure

À l’ouverture de la séance, le président (c’est toujours le comte de Clermont) a lu une lettre par laquelle M. Necker demandait qu’on fît la lecture du rapport qu’il a fait hier au Conseil sur les questions qui occupent aujourd’hui l’Assemblée. Les motifs de cette démarche sont évidents. M. Necker a prononcé dans des conversations particulières et très publiquement son opinion sur le veto ; il le désirait absolu ou indéfini, et certes il n’était pas le seul. Il a craint qu’on ne lui fît un crime de cette opinion, et il a voulu l’expliquer.

(…) Il est arrivé ce qui devait être naturellement ; après une discussion fort longue et très chaude, dans laquelle les amis de M. Necker ont encore eu la maladresse de demander trop d’instance qu’on lût son mémoire, il a été arrêté qu’il ne serait pas lu.

On a passé ensuite à la discussion de la sanction royale. C’est une chose très affligeante pour les bons citoyens que le défaut de lumières d’un grand nombre des membres de l’Assemblée, plusieurs confondaient la sanction avec le veto. (…)

Un ancien décret ordonnait qu’on irait aux voix par appel nominatif… Le président ayant eu la maladresse de vouloir consulter le voeu de l’Assemblée pour savoir si elle ne voulait pas revenir sur cette décision, la majorité avait été d’avis de juger par assis et levé. La minorité a fait les réclamations les plus violentes contre l’indécence d’un tel mode de délibération, qui tient toujours de l’acclamation, qui présente quelque incertitude, etc., etc. La majorité, après la résistance la plus forte et la plus longue, a consenti, sur les observations du duc de Liancourt, à revenir sur ce décret. (…)

Journal d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers état de Bar-le-Duc, sur l’Assemblée constituante : 3 mai 1789-3 avril 1790, t. 1 (Paris, 1894), p. 328.

18 August 1789: Mirabeau’s version of the Declaration of Rights discussed

Après la lecture des procès-verbaux, on a commencé la discussion de la déclaration [des droits de l’homme] lue hier par M. de Mirabeau. (…)

Toutes les discussions prouvent que la déclaration lue par M. de Mirabeau a été mal accueillie ; on l’a trouvée la plus mauvaise de toutes celles qui ont été présentées à l’Assemblée, et, soit qu’il n’ait pu se livrer à son génie parce qu’il était gêné par ses collègues, soit qu’il ne l’ait pas osé parce qu’il craignait l’Assemblée, il est certain qu’il est infiniment au-dessous de lui dans ce travail.

Il l’a bien senti, et, dans le cours des opinions, il n’a pas manqué de l’avouer ; il a dit, ce qui me paraît éternellement vrai, que toute déclaration de droits serait mauvais qui ne porterait pas sur ce grand principe, que l’homme n’entre en société que pour acquérir et non pour perdre, vérité développée il y a vingt ans pas l’ami des hommes, et sur cet autre principe non moins certain, que la société n’est que le résultat d’une convention libre.

Le vicomte de Mirabeau est celui qui a le plus méchamment critiqué son frère… (…)

La discussion continuait, personne ne s’entendait. Les uns voulait qu’on délibérât sur la déclaration lue par M. de Mirabeau, d’autres qu’on la rejetât à l’instant, quelques-uns regrettaient qu’on eût arrêté de faire une déclaration. (…)

Après quelques discussions encore, l’Assemblée a arrêté qu’elle se retirerait en bureaux pour choisir, entre tous les projets de déclaration, celui qui pourrait servir de base à la discussion. (…)

Journal d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers état de Bar-le-Duc, sur l’Assemblée constituante : 3 mai 1789-3 avril 1790, t. 1 (Paris, 1894), p. 296-298.

28 July 1789: ‘…quoique les discussions soient détestables, les résultats sont presque toujours bons…’

Après la lecture de quelques addresses d’adhésion et de remerciement, on a lu un procès-verbal apporté par un courrier, duquel il résulterait que 4 000 brigands parcours les campagnes aux environs de Soissons, pour brûler les denrées en vert ; les habitants demandent du secours et  le demandent très prompt.

L’Assemblée s’est fortement occupée de cet objet ; peut-être même se l’est-on beaucoup exagéré. (…)

Il serait important de pouvoir remonter à la source de ces bruits, pour connaître les auteurs et leurs motifs. Cela est d’autant plus nécessaire aujourd’hui qu’il paraît que l’on exagère de toutes parts des plaintes qui nous parviennent des provinces, et qu’il paraît bien constant, d’après un courrier arrivé le soir, que tous ces bruits étaient absolument faux. Mais pourquoi les répand-on ? C’est ce que j’ignore. (…)

Cependant les imaginations s’effrayent ; on ne voit pas les coupables, on veut à tout prix en trouver ; il est certain qu’il en est quelques-uns, qu’il y a des gens payés, dit-on, pour ne pas travailler, etc., etc. Ce sont des faits à éclaircir. Mais nous devons consommer notre opération et calmer, s’il est possible, les imaginations égarées.

C’est dans cette vue surtout que l’on s’est occupé d’une motion faite par M. Duport, qui tendait à établir un comité composé de quatre personnes, chargées de prendre des informations et d’en rendre compte à l’Assemblée.

D’autres personnes n’ont pas craint de proposer que ce comité fût très secret, que l’on ouvrit toutes les lettres, et autres mesures semblables, qui inspirent aux gens d’honneurs de l’horreur de du mépris.

Aussi toutes ces belles vues ont été rejetées, et il a passé unanimement que le comité serait composé de 12 personnes, qui prendraient très publiquement des informations pour découvrir et les crimes et leurs auteurs. Mais, sur la proposition d’ouvrir les lettres, on n’a plus délibéré.

Ainsi, quoique les discussions soient détestables, les résultats sont presque toujours bons et sages. (…)

Journal d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers état de Bar-le-Duc, sur l’Assemblée constituante : 3 mai 1789-3 avril 1790, t. 1 (Paris, 1894), p. 240-242.

7 December 1789: the National Assembly discusses the conditions of eligibility (again)

Le premier article de municipalité qui a été décrété porte que, dans chaque commune, il y aura un registre sur lequel seront inscrits les noms de tous les citoyens actifs, lesquels au surplus seront tenus de prêter entre les mains du chef de la municipalité le serment de défendre la constitution, etc. Le comité a ensuite proposé un article en ces termes : “Les citoyens français qui auront remis les conditions de l’inscription civique et du serment patriotique seront dispensés des autres conditions d’éligibilité pour l’Assemblée nationale, si, au premier scrutin, ils ont réuni les trois quarts des suffrages des électeurs”.

Cet article a été vivement attaqué et vivement défendu : d’un côté, on reprochait au comité de reproduire sous une nouvelle forme ce qui avait déjà été proscrit cinq ou six fois sous des formes diverses. On lui reprochait de vouloir éluder la contribution de 34 livres, l’âge et le domicile. On ne voyait dans sa marche que l’envie de favoriser ou les intriguant, ou les gens riches, ou les habitants de Paris : plusieurs personnes le lui reproché. Le comité d’un autre côté, et ses partisans ne voyaient dans les adversaires de cet article que des ennemis de l’égalité et de la liberté des élections. M. Roederer est celui qui l’a défendu avec le plus de force : son discours, rempli d’exagération et de phrases emportées, n’aurait pas une autre tournure s’il eût voulu proposer la loi agraire, et cependant il a été applaudi, parce qu’on est toujours sûr de l’être quand on passe les bornes e qu’on exagère. On a été aux voix par assis et levé : l’épreuve a été évidemment douteuse. L’appel nominal a été fait : il en résulte que 453 voix ont rejeté l’article. 443 l’ont adopté.

Ainsi cet article n’est pas admis. Il est difficile de trouver étrange que ceux qui ont voté pour les articles dont celui-ci est une exception aient refusé de l’adopter. Cependant il me semble qu’il est sujet à moins d’inconvénients que ceux qui ont été prescrits. Peut-être même aurait-on pu en faire un article utile, en exigeant la totalité des voix ; mais il ne faut pas dissimuler que l’espèce de finesse qu’a apportée le comité à reproduire si souvent et sous tant de formes une disposition si souvent rejetée a irrité les esprits et ne les a pas préparés à un examen bien impartial. (…)

Journal d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers état de Bar-le-Duc, sur l’Assemblée constituante : 3 mai 1789-3 avril 1790, t. 2 (Paris, 1894), p. 141-142.

Image : Pierre-Louis Roederer

1 December 1789: “On ne peut trop se hâter, Messieurs, de faire jouir la nation de cet avantage”.

(…) Enfin M. Guillotin a obtenu la parole. Il proposait quelques réformes dans notre code criminel, l’uniformité de peines pour tous les individus, abolition de toute peine de mort autre que la décapitation au moyen d’une machine. Le premier article est d’une justice si évidente qu’il n’a pu éprouvé aucune difficulté ; il n’en est pas de même du second ; beaucoup de gens pensent que l’assassin en général doit être le seul puni de mort, mais qu’il faut une peine plus forte pour le parricide ou régicide que pour l’assassin ordinaire. Il est fort [difficile] de ne pas être de cet avis. Cet article aussi a occasionné les plus grands débats.

Eu général, la motion de M. Guillotin en excitait les plus vifs ; c’était devenu affaire de parti, non pour ne pas en adopter les dispositions essentielles, mais pour ne pas la laisser passer… (…)

Le discours du docteur Guillotin était d’un genre très extraordinaire : trop long de beaucoup, de détails inutiles, des idées cent fois rebattues, pour appuyer des vérités très reconnues, incontestables et incontestées ; mais ce qu’on a remarqué de plus plaisant, c’est qu’après avoir fait la description de sa machine, il a dit: On ne peut trop se hâter, Messieurs, de faire jouir la nation de cet avantage. Il a fait la description d’une pareille machine dont on se sert en Italie pour les supplices, et il a fait le tableau le plus extraordinaire de l’exécution. La tête est posée sous le fatal instrument, il tombe, la tête vole, le sang jaillit, etc. On sent combien de telles idées étaient de mauvais goût dans une telle assemblée et sur un tel sujet. Aussi n’ont-elles pas été écoutées sans de grands murmures. On assure que le docteur Guillotin ne met autant de chaleur à cette affaire, et surtout à l’uniformité des peines, à l’abolition du supplice de la corde, que parce qu’il est très attaché à la maison de Lorraine et qu’il craint pour le prince de Lambese.

Journal d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers état de Bar-le-Duc, sur l’Assemblée constituante : 3 mai 1789-3 avril 1790, t. 2 (Paris, 1894), p. 117-119.

Image: the Machine