24 March 1797: epistolary privacy & nothing new

J’ai reçu ta lettre toute décachetée, mon cousin, et quoique nous ne disions rien qui ne soit à dire, et que nous n’ayons rien à cacher, parce que nous n’avons rien de mauvais dans le coeur, il m’est infiniment désagréable de n’avoir pas la fleur de tes épîtres, et qu’un oeil curieux et indifférent les parcoure avant moi. S’il en est ainsi des miennes, Messieurs de la poste, au moins je vous prie de ne les pas mettre au rebut. Sur ma parole, elles sont pleines de tendresses et de balivernes qui intéressent fort peu la République.

(…) Il n’y a rien de nouveau, ni chez nous, ni chez nos amis. Les assemblées primaires, autant que j’en puis juger par les faibles échos de ma retraite, sont calmes et paisibles. L’urne du destin va contenir de grands événements. Puissent-ils être heureux pour notre chère patrie ! Amen. (…)

Rosalie Jullien à Marc-Antoine Jullien fils à Chambéry, dans « Les affaires d’État sont mes affaires de cœur » : lettres de Rosalie Jullien, une femme dans la Révolution, 1775-1810, présentées par Annie Duprat (Paris : Belin, 2016), p. 350-351.

23 March 1790: “Je n’étois pas faite… pour vivre dans le temps où nous sommes…”

…Je n’étois pas faite,  mon ami, pour vivre dans le temps où nous sommes ; je suis trop sensible. Vous n’avez pas d’idée de ce que je souffre continuellement en voyant tant de maux accumulés sur la pauvre France et sur tant d’individus. Je ne vois, je ne rencontre que des malheureux. J’ai tout le jour le coeur serré, oppressé. Oh ! quand fuirai-je ! Quand irai-je respirer à la campagne ! (…)

La constitution militaire ne va pas plus vite que celle de l’Etat. Le chevalier d’Urtubie m’a dit que vos inspecteurs n’étoient pas contens du ministre. Celui-ci ne l’est pas de l’Assemblée nationale qui ne veut point admettre ses plans. On peut juger que cette discussion sera encore longue. Hier, on s’est amusé à nommer M. de Guibert ministre de la Guerre. Le chevalier en étoit furieux, quoique sûr que cela n’étoitpas vrai. II paroît qu’on donne toutes sortes de dégoûts à M. de la Tour-du-Pin. Mon étonnement, c’est qu’il reste un ministre près du Roy. Cela leur fait honneur ; ils ne veulent pas l’abandonner. (…)

J’ai été une fois,  mon ami, à l’Assemblée nationale. J’étois bien à  mon aise dans une loge, où je suis entrée et sortie quand j’ai voulu. En voyant nos souverains de près, j’ai été encore plus indignée de leur insouciance, de leur esprit de parti, de la manière dont se rendent leurs décrets. Dès que le côté droit veut parler, si l’orateur n’a pas des poumons terribles, il est impossible de l’entendre. Il en déserte tous les jours; ils s’en vont…

On s’abonne actuellement pour les Actes des Apôtres. Voulez-vous que je vous fasse abonner ? Les derniers sont bien plaisans. On est bien heureux de pouvoir rire encore quelquefois, et surtout de savoir qu’on a des amis. Sans cela l’existence seroit trop à charge.

Mme de Vatre à M. de Givry, dans Pierre de Vaissière, Lettres d’« aristocrates ». La Révolution racontée par des correspondances privées. 1789-1794 (Paris, 1907), p. 213-214.